mercredi 15 août 2007

Page Lisa Bresner

Les citations choisies sont des extraits de romans, d’essais ou de contes.
Isolées sur cette page, elles risquent de signifier autre chose que dans leur contexte. Mon choix lui-même est sans doute guidé par le manque.


La structure du monde correspond à celle de l’individu qui tire son architecture de ce même monde. Est-ce pour cette raison que l’anatomie du corps humain ne fut pas envisagée dans la médecine antique ? La curiosité, la surprise originelle devant l’arrêt de la vie que contient en lui le corps destiné à mourir ne se porta jamais sur ce qui se trouvait à l’intérieur de lui, on préféra conserver l’intégrité de l’être, un corps sans fissures, à l’image du ciel quand il n’est pas «déchiré» par les éclairs ou «bouleversé» par le tonnerre. […] Le corps humain contient l’univers, il possède son ciel, sa terre etc. (La tête correspond chez certains auteurs taoïstes aux monts Kun Lun.)

Lisa Bresner Pouvoirs de la mélancolie
Chamans, poètes et souverains dans la Chine antique
Albin Michel, 2004, page 99



C’est naturellement féminin de s’attacher à l’homme qui peut être tout et rien. Le tout vous effraie, vous excite, vous rend de l’extase pour toute réponse quand vous ne demandez qu’une simple explication. Où étais-tu ? Comment gagnes-tu cet argent ? Pourquoi tes ongles sont si longs ? Le rien accentue votre imagination, votre potentiel maternel, votre goût pour la lingerie spécialisée. Il savait tout, lui. […] Je l’ai appelé Platypus parce que comme l’ornithorynque de Tasmanie, il était beau et muet d’étonnement devant l’œuf qu’il venait de pondre et à qui il allait donner le sein.

Lisa Bresner Zoo
éd. Michel Baverey, 1999, page 41



Lao Tseu est allongé. Le rideau de la fenêtre est relevé, il voit la nuit diminuer et le jour progresser ensemble.
Pince-Lune va éteindre les bougies. Son cou est bleu, ses mains et ses jambes couvertes de blessures. Elle flotte dans sa robe sans ceinture. Sa cithare est tachetée de gouttes de cire et de sang.
L’un et l’autre se sont effrontés toute la nuit.
- Je vais devenir philosophe et je vais te quitter.
Il tire sur les deux pans de son écharpe et s’aperçoit que sa femme porte le même licou.
- Car aimer c’est se tuer à moitié.

Lisa Bresner Lao Tseu
Actes Sud, 2000, page 57



Marianne se réfugia dans son ancienne chambre d’enfant. Elle était pâle, presque verte, comme une lune qui prend un bain dans un champ de mûres, non qui s’est piquée aux ronces de mûrier. Les pans de sa robe fouettaient les murs du couloir. Des fragments de peinture s’effritèrent à son passage. Le vent ? accusera-t-elle, un vent coquin, amateur de fresques ! Je ne trace miette, moi, les romans, on ne les trouve pas dans mon assiette, mon histoire dore dans le four, pitt ! pitt !, venez dîner, pardon ce n’est pas cuit !

- Arrête ! (Je préfère vivre mes histoires que de les inventer ou de les lire pour dix francs. Oser vivre, c’est peut-être un jour aimer tuer ou mourir ! mais quel monde serai-je moi-même devenue ! Si je suis un monde, lorsque je mourrai ce n’est pas moi qu’on enterrera, seulement un de mes personnages.)
(Je joue un personnage ? Alors demain ce n’est pas moi qu’on mariera pour la quatrième fois. Je peux aussi choisir d’être une gentille épouse et de travailler à Hong Kong dans l’import-export. Si je suis tout le monde, je dois bien reconnaître qu’il me faudra être aussi cette femme-là.)

Lisa Bresner La vie chinoise de Marianne Pêche
Gallimard, 1996, pages 123 et 164



Pour la première fois depuis des semaines, j’avais faim. Non pas de choses à manger mais de deuxièmes fois. Je voulais vivre, embrasser, même souffrir pour la neuvième fois, la huit cent quarante-huitième fois !
Depuis peu de temps, il y avait eu trop de premières fois dans ma vie. J’avais beau être toujours vierge, il me semblait que le monde entier m’avait grimpé dessus !
Cette pluie à mon balcon, la chose la plus douce, la plus nue !
J’en avais collectionné les gouttes comme des vêtements pour m’habiller à l’intérieur, là où je voulais que personne n’aille.

Lisa Bresner Pékin est mon jardin
Actes Sud, 2003, page 47


Devant moi, le Cinquième et dernier Pont ressemblait à un œil immense, posé sur le courant de la rivière. C’était le plus beau de tous les ponts de Kyôto. J’étais très loin de chez moi, encore plus de l’école. Personne ne savait où j’étais et je n’avais pas dit un mot depuis quelques heures.
Au milieu du pont, il y avait un garçon un tout petit peu plus grand que moi. Il ne souriait pas, il ne pleurait pas, il était en train de tomber du pont et de crier TASUKETE* !

Lisa Bresner Misako
éd. MEMO, 2003


* Au secours !



Bibliographie intégrale,
extraits,
photos de ses livres
sur le site de Lisa :
Vous pouvez y laisser un hommage.
Un film de 22", Feuilleton de Enola S. Cluzeau, avec Lisa Bresner dans le rôle principal :
Article magnifique, entretien avec Lisa, photos superbes, par Daniel Morvan :

 
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